Installation « Un dispositif qui sollicite à dessein tous nos sens » , 2018
Exposition « A la fin du jour »
Galerie des jours de lune
ÉGLISE DES TRINITAIRES
Bernard Calet
En résonance avec les caractéristiques de l’environnement et du contexte, les matières et matériaux utilisés par Bernard Calet pour construire sa pièce aux Trinitaires à Metz sont la pierre calcaire, la mousse végétale, les tubes fluorescents. L’artiste reprend en quelque sorte son ouvrage où il l’avait laissé (1) : il redispose les éléments comme on relancerait les dés et réinvestit l’espace en fonction de ses caractéristiques propres, des domaines et enjeux récurrents — l’architecture et le paysage — de son propre travail. Il ne s’agit pas seulement de mettre en place techniquement un dispositif — ce que Bernard Calet sait parfaitement faire —, mais de donner à un agencement une fonction et un sens, c’est-à-dire d’y introduire une pensée incluant une part instinctive ou fictionnelle, variable ou variante dans tous les cas de l’invention réflexive qui se faufile à travers son œuvre depuis une trentaine d’années. « Penser entre le centre et le bord des choses », suggérait Gordon Matta-Clark dans les années 70. La tâche est infinie. Les expositions qui se succèdent n’ont d’autre vocation : affiner des préoccupations et réflexions survenues d’une investigation théorique et pratique opiniâtre, associant le dedans et le dehors des choses, l’intérieur et l’extérieur des espaces et des lieux. La pierre intéresse l’artiste parce que, selon ses mots, elle « contient du temps » et transporte l’énergie. La mousse est une matière végétale vivante, premier stade de l’évolution des végétaux et même du vivant. Les fluos ont une histoire plus récente et portent en eux le flux de la vie et de la technologie. L’installation est appuyée sur un contraste manifeste entre les formes organiques et la géométrie. Son sens émerge des circulations qu’elle favorise dans l’espace et le temps. « Ce qui est déterminant, dit encore Matta Clark, c’est d’être capable de transformer la structure en un acte de communication. » L’œuvre se fait l’écho de ce qui constitue, traverse et détermine son environnement (une ville, un édifice, une situation), comme des mouvements et des bruissements du monde. Son environnement l’abrite autant qu’elle l’abrite et l’habite. On le constate, Bernard Calet, comme le suggère à juste titre Eva Prouteau, « est doté d’un imaginaire glaneur, qui agrège volontiers les références dans la littérature, l’architecture ou l’histoire de l’art, et qui procède par ricochets, glissements et soubresauts singuliers. » (2) Ces agrégations qui se constituent d’œuvre en œuvre cristallisent, paradoxalement ou pas, quelque chose d’essentiel de l’ordre — dans l’ordre — du présent, que Baudelaire définissait comme « l’attitude de modernité » : « volontaire, difficile [elle] consiste à ressaisir quelque chose d’éternel qui n’est pas au-delà de l’instant présent, ni derrière lui, mais en lui. » (3) Bernard Calet est délibérément un artiste du contexte, de la mise en tension de l’espace et de ses composants. Ce faisant, « … il ne cesse, écrit Damien Sausset, de nous interroger sur le rapport à l’autre, sur l’idée de communauté et les modalités de construction de nos identités. » (4) Dès lors, pourrait-on suggérer avec l’humour de Philippe Parreno, « plus besoin de dire Je me souviens ou Ça me rappelle » : il suffit de se laisser porter par le flux d’un dispositif spatial qui sollicite à dessein tous nos sens.
Alain Coulange, Mars 2018
(1) Exposition Random, Centre d’art de Thouars, 2017
(2) Eva Prouteau, dépliant de l’exposition Random, 2017
(3) Le peintre de la vie moderne, in Œuvres II, Gallimard, La Pléiade, 1976
(4) Exposition Entretemps, Espace d’art contemporain La Rochelle, 2011